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Les embrasseurs d’arbres

2011 - musique Gorgé livret Meens
21 février 2014, par Francis

Un temps, nous embrassions les arbres.

Anneke Brassinga, qui embrasse les arbres en néerlandais, avait publié quelques poèmes chez Jos Swiers, aux éditions de Althaea Pers.

Traduits, Francis Gorgé a composé pour eux, et nous les avons, à l’occasion d’une série de radiophonies sur France-Culture puis Radio-Grenouille, adressés aux arbres rencontrés en forêt de Bercé où nous guidaient Jean-François Clémence et Dominique Mansion.

Les voici ces arbres choisis, rassemblés en ligne en un bosquet… d’où pourrait surgir quelque nymphe ou satyre.

Vous pouvez acheter l’album numérique sur le site Bandcamp




Grâce au lecteur ci-dessous, vous écouterez la suite complète.





1. Hêtre / Grive

musique : Gorgé, texte : Brassinga, traduction : Meens

Ce que la grive musicienne marmonne dans l’ombre :

« Sur quoi, eh mon trésor, la mort vibre
chapeau jaune que la toute chatte
jaillisse de gravagueule à moi l’œil ronbille :
le mène-t-elle ce gala par le bout du nez louchant,
torchon raidi la crème de celui qu’il ne vienne ?
Elle s’ircule dans la clarté stupide, s’incarcère
dans la hontoblique, injurions
tant que le chandamour soit coché.
À l’assaut assez maintenant tout tinte enroué vite
Et hissé le mât —
C’tait la nuide, ogrebaillante nuit —
comm’ j’m’ lamente là !
que ne voit-on ! ça claque un peu !

La rosée pousse tombe la bique touche au jour
Regarde ! cette vieille charogne se lèche elle-même. »




2. Houx / Vieille nuit

musique : Gorgé, texte : Brassinga, traduction : Meens

Pour aujourd’hui et pour toujours

Les arbres au crépuscule, plus de noirceur
et d’épouvante que les fantômes
d’ici peu. Les canards vont à l’étang

dormir en râlant. Rien à espérer
du coucher du soleil, absence.
Rien à supposer, ce qui vient n’est jamais chemin.

Les arbres font le jour, ils rayonnent,
une jeune mais sobre ombre à leur pied
creuse son trou,

le couvert sarcle pour plus tard.
Le jour disparaît dans la pousse qui frémit.
Tu m’es toujours restée pourtant

vieille nuit d’abat-jour nuit angoissante
chère, debout dans la pénombre tranquille.




3. Bouleau / Verger

musique : Gorgé, texte : Brassinga, traduction : Meens

Comme si jamais perdue
la candeur : l’inclination
de bruire sous le vent,
nombreux mille murmurant
enfin ! enfin ! enfin !
Et caressés par l’été
les arbres sans force
enfeuillés, renient
le vert de l’an passé.
Ces diableries terrestres
cesseront-elles jamais ?
Provoquée la répétition
comme si jamais perdu
ce qui chute. Vieux maux
piétinés au sol broyés.
L’arbre ne se soucie
de ce qu’il remplace :
il est une autre vie
dure au froid, vert exclu,
les restes en terre
introuvable : les arbres sont-ils tricheurs ?




4. Châtainier / Cytise

musique : Gorgé, texte : Brassinga, traduction : Meens

Tranquille, laçant les patins dessous l’arbre,
elle, et d’or la pluie même : une averse,
singulière profusion d’eau déplacée
comme ruisselante, coulée, dispersée,
chutant et sombrant. Elle s’est vue
gagner l’étang, a patiné.

Sous les arbres, à leurs côtés,
c’était à son plein la calme déploration —
sans la pluie qui à fleurir
mouillait le sol, saturé
d’or au soleil.




5. Douglas / Arbres rassemblés

musique : Gorgé, texte : Meens

arbres rassemblés hauts arbres qui m’attendiez
arbres ensanglantés mettez que je vous regarde
vous ajoutez à la rumeur sans amandiers
ni fleurs je vous entends le cou jusqu’à la garde

coincé ah ce n’est ni le froid ni la douleur
qui manquent ici vos troncs portent une marque blanche
un jour ou l’autre vous devrez tomber douceur
lente de vos chutes et vous faites la planche




6. Cornier / Mai

musique : Gorgé, texte : Brassinga, traduction : Meens

L’oreille sur les signaux lumineux le long de la piste
s’attend au crescendo des sensations
musicales, les duveteux chatons des saules
exposent, mélodie jaune, leur farine tardive,
cor des alpes au loin.

La très rare fleur rose des mélèzes
résonne comme cristal d’hiver,
tintements fragiles.

Je n’ai pas tenu sous la brise du soir
pleine de l’odeur du foin, ça ne chante pas
avec la voix profonde de contralte du fugace,
ce qui éclos après mille morts
devrait se plaindre auprès du monde, non ?

Écoutons-nous la lumière ?




7. Saule / Arbre à ambre

musique : Gorgé, texte : Ovide, Brassinga, traduction : Meens

« Non, je t’en prie, mère ! », chacune d’elle touchée, crie,
« Non, je t’en prie ! Nôtre, ce corps que tu lacères, un arbre !
Adieu donc ! » — L’écorce vient avec ces derniers mots,
d’où sourdent les larmes ; goutte à goutte au soleil durcit
aux jeunes rameaux l’ambre, que le clair torrent recueille,
qu’aux jeunes femmes latines il conduit, qui s’en parent.

Ovide Métamorphoses, II, 362-366.

Mes racines je les ai au cœur retordu
de la terre et pousse d’abondance la perte,
j’avale et ce noir profond et mon mort ensemble,
nuit de prière. Une couronne nous abrite
de la lumière, y scintillent toutes mes larmes.


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